Décidément, la rue est trop sombre ce soir. La nuit avait pourtant bien commencée. Je suis arrivée tard, trop peut-être. Tout le monde était un peu saoul. Je ne m'en suis pas incommodée, je suis passée parmi les groupes, et me suis même amusée. Bribes de conversations recousues, comme un costume d'Arlequin un peu usé au coude avec un rapiècement en forme d'étoile. Mais ce soir, le ciel est vide. Et la lune joue à cache-cache avec les toits.

 Quand il est venu me parler, mon corps tout entier a reculé. Ce corps, qui sent les choses tellement mieux que moi, et qui se rappelle douloureusement à moi maintenant. Il m'a prise à part. Il avait du venin dans les yeux. Il serrait mon coude un peu fort. Il a déversé du volcan dans ma tête et mon cœur. Et ses mots, ses questions me trottent encore dans la tête, au rythme de mes pas sur le trottoir. Où tu étais. Avec qui. Une gifle. Ne me mens pas. Je commence à te connaître. Une autre. Alors qu'il me connaît si mal. Ma bretelle de robe est cassée. J'ai froid. Il m'a entraînée sur le pallier. C'est fou la force qu'il peut avoir quand il a bu. Sa voix était sourde, et quand il m'a poussée, ma chute n'a presque pas fait de bruit dans l'escalier recouvert de moquette. Cette sale moquette râpée, fleurie, que j'ai toujours trouvée laide, quand je montais les marches jusqu'à son appartement, au cinquième. Une chose est sûre : je ne la regretterai pas.

Des mots, il n'en avait plus quand il m'a ramassée. Alors je suis partie. Mes yeux piquent, mon rimmel a du coulé. Mais personne ne le remarque. Décidément, la rue est trop sombre ce soir.

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